Conclusion : les trois priorités

Une approche technologique de l’internet du futur cherchera assez naturellement à répondre au plus grand nombre possible de demandes en termes de performance, de fiabilité et de sécurité.
En nous plaçant d’un autre point de vue, celui d’acteurs qui s’appuient sur l’internet pour innover et développer leurs activités, nous avons montré que cette approche pouvait avoir un coût caché : celui de rendre l’internet moins accessible, et surtout, moins ouvert à l’innovation.

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En évoluant, l’internet doit rester ce réseau doublement universel – ouvert à tous, ouvert à tout – et cette plate-forme d’innovation. Cela supposera souvent d’arbitrer, sur l’internet, en faveur de l’adaptabilité du réseau plutôt que de l’optimisation – quitte à faire le contraire sur certains réseaux dédiés, plus ou moins interconnectés avec l’internet « universel » et pour lesquels la capacité d’innovation n’est pas aussi essentielle.
Les conséquences sociales et économiques d’une diminution de la capacité de l’internet à fonctionner comme un moteur d’innovation ouverte, y compris pour de compréhensibles raisons de sécurité et de qualité, seraient profondément négatives.
Cet internet ne sera plus celui des seuls ordinateurs, du moins des ordinateurs tels que nous les connaissons. Etendre l’internet aux objets constitue un chantier prioritaire, mais il faut l’aborder dans l’esprit… de l’internet : c’est-à-dire faire des objets, non pas de simples terminaisons de chaines de valeur industrielles, mais des constituants à part entière d’un internet des humains et des non-humains, ouverts à leur tour aux transformations, aux détournements, aux agencements imprévus.

Enfin, l’internet est devenu une infrastructure si essentielle pour des millions d’individus, qu’il devient prioritaire de les y faire exister. Exister comme des sujets autonomes, capables d’y déployer leurs capacités, qui y possèdent une adresse (voire un domicile) stable, tout en bénéficiant des libertés élémentaires de disparaître, de se dissimuler ou de se réinventer.

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Illustration : Véronique Olivier-Martin

Illustration : Véronique Olivier-Martin

Universalité, accessibilité et ouverture à l’innovation d’où qu’elle vienne ; mise en réseau des humains et des non-humains ; émergence d’un « internet des sujets » : voici les trois attentes prioritaires que nous exprimons dans ce « cahier des charges » de l’internet du futur. Elles ne s’opposent pas à d’autres attentes, mais elles doivent être défendues avec suffisamment de force, comme des critères sur lesquels il serait grave, y compris du point de vue économique, de transiger.
En défendant une telle vision, la France proposerait une voie créative et ambitieuse, dans laquelle l’Europe pourrait prendre toute sa place.

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Quelques recommandations concrètes

Ayant travaillé dans l’optique d’un « cahier des charges », le groupe ne s’est pas fixé pour objectif de produire des recommandations précises en réponse à chacune des questions de la consultation. Quelques pistes ont cependant émergé des échanges, dont nous reprenons les principales :

  • Soutenir les recherches qui visent :
    • A mieux comprendre l’économie et les jeux d’acteurs de l’internet, ainsi que son fonctionnement concret
    • A augmenter les capacités et la qualité du réseau actuel
    • A étendre au-delà de ses limites actuelles les principes architecturaux décentralisés qui fondent en principe l’internet, mais ne s’appliquent que rarement au niveau du « dernier kilomètre » : réseaux « sans opérateurs » et de pair à pair, réseaux mesh et ad hoc, réseaux autonomes… (ce dernier point relevant dans une large mesure de la recherche « en rupture »)
  • Dans le soutien à la recherche, s’attacher à associer les grands industriels, les acteurs publics, les laboratoires de recherche et les petites entreprises innovantes, dont proviendront bien souvent les innovations les plus importantes. Des initiatives particulières doivent s’attacher à mettre ces dernières en mesure de développer leur R&D, puis leur développement, les deux à l’échelle internationale.
  • Trouver les méthodes et les dispositifs concrets permettant d’intégrer les citoyens et les utilisateurs en amont des recherches sur l’internet du futur (et ses applications).
  • Explorer, en termes techniques, économiques et de régulation, les conséquences de l’émergence probable de « droits » associés au caractère de plus en plus indispensable des réseaux : droit à l’accès, droit à l’identité, droit à l’oubli ou à la déconnexion, droit à la préservation des données dans le temps…
  • A l’évidence, porter ces projets et ces recommandations au niveau européen, seul échelon d’action pertinent dans ce débat mondial.

Une réponse à “Conclusion : les trois priorités

  1. Finalement le problème que vous posez à toutes les pages c’est celui de l’IGN face à Google Maps.

    D’un côté un univers de spécialistes, typique du manque de culture ou du peu de goût pour la vraie vulgarisation scientifique des polytechniciens Français, univers timidement ouvert « à tous » avec la version « familiale » Géoportail, de l’autre la gigantesque puissance des serveurs de Google capables d’absorber la quasi totalité de millions de données GPS par seconde fournies par ses utilisateurs et de les restituer en (presque) temps réel.

    Le résultat des travaux des géographes de l’IGN est mille fois supérieur à la qualité des données fournies sur Internet par Google, Yahoo ou Microsoft, mais ce sont ces dernières qui sont de loin les plus utilisées, jusqu’au ridicule parfois sur certains sites gouvernementaux, La Désirade y étant localisée par Google, au hasard des sites, soit dans les Vosges, soit dans l’Oklaoma.

    L’IGN en s’ouvrant à l’Open Source a certes fait un progrès, mais c’est encore une fois un progrès de spécialistes, tout comme cette consultation « publique » est en fait une consultation d’experts.

    Si l’idée « Internet du Futur », qui est une idée, une vision, se limite à ce que pourra produire le génie de nos géniaux ingénieurs sortis de nos grandes écoles, sans qu’un effort immense, quelque soit son prix, car cela n’aura pas de prix, soit consenti à la divulgation, à l’information, à la formation du plus grand nombre, cette idée, cette vision ne produira rien, avortera ou aboutira à des solutions inadaptées que l’on nous imposera.

    L’erreur typique Française c’est de ne pas comprendre que « les gens sont beaucoup plus intelligents et beaucoup moins informés qu’on ne le croit ».

    On est persuadé, parce que c’est dans les journaux, parce que c’est dans l’actualité, parce que c’est dans le débat, que les gens savent.

    Mais les gens ont d’autres soucis que ces débats-là, même si cela engage leur avenir. Alors il faut aller vers eux. Les engager dans le débat. C’est ingrat, usant, fatiguant de prendre le temps d’apporter des explications surtout quand on fait partie de « ceux qui savent » mais c’est le plus important. On n’explique jamais assez. C’est ça le mal Français. C’est le gars de FT qui reste dans sa tour d’ivoire. Alors après le commercial d’Orange, qui n’y comprend la plupart du temps rien à ce que lui a bricolé le gars de l’X dans les labos de FT, comme il comprend rien, il traite le client, l’utilisateur, le payeur, comme un crétin.

    A l’arrivée on a forcément personne de content puisque personne ne comprend.

    Et là où je ne plaisante pas, c’est que si vous regardez bien, ce que le crétin achète, ça marche pas.

    Merci pour votre superbe travail.

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